Le Démon de la colline aux loups, de Dimitri Rouchon-Borie
Mon avis
Je vais sans doute vous paraître très en colère, c’est le cas.
Ma mère est famille d’accueil, maintenant appelée Assistante Familiale, depuis 13 ans, aujourd’hui en arrêt et considérée inapte à ce travail comme le finissent beaucoup des gens qui exercent ce métier. J’ai fini par lire ce livre parce qu’il raconte une histoire qui pourrait s’apparenter à celles de nombreux enfants que j’ai pu rencontrer et que je voulais me faire une idée de ce qu’il en retournait.
Le Démon de la colline aux loups parle du mal qui entraîne le mal, de la réaction presque toujours trop tardive des institutions sociales, de la justice des adultes qui écoute à peine les enfants… et en fond, du manque évident d’accompagnement de ces jeunes victimes, retirées trop tard d’un environnement familial foireux, dangereux, nocif. Déjà trop abîmés, quand ils ne sont pas détruits. Et de leur abandon dans le monde.
L’histoire de Duke est complexe, difficile à lire, mais complètement vraisemblable. L’auteur, chroniqueur judiciaire, décrit très bien cette justice qui ne pense pas assez à l’enfant et ne s’adapte pas assez à son histoire ou à ses capacités de compréhension, agissant comme un véritable rouleau compresseur.
Mais à mon sens il ne va pas assez loin concernant une autre violence qui accueille ces enfants une fois délivrés des griffes de leurs parents. La part sociale et administrative du traitement de ces enfants est loin, très loin d’être toujours aussi bienveillante.
Savez-vous que par manque de personnel et de financement, la plupart de ces enfants n’ont pas de suivi psychologique décent, voire pas de suivi du tout ? Savez-vous que, par manque de familles d’accueil, on place des enfants devenus pédophiles avec des proies potentielles ? Savez-vous qu’un enfant ayant littéralement pété un câble à cause de la violence de son début de vie sera plus facilement traité avec des psychotropes que placé en hôpital psychiatrique ou autres structures adaptées pour des soins adaptés ?
Savez-vous qu’un grand nombre de ces enfants sont déscolarisés, non pas parce qu’ils ne peuvent rien apprendre mais parce qu’ils sont un poids trop lourd pour les écoles ? Savez-vous que les enfants violents, considérés comme irrécupérables, finissent par être placés dans des foyers dans lesquels sont réunis les pires cas, par 6, 10, 12. Dans lesquels les éducateurs spécialisés se retrouvent seuls, toujours en sous-effectifs. Que pourraient-ils bien faire ?
Imaginiez-vous que, pour ceux qui s’en sortent le mieux, ils sont envoyés vers les CAP qui offrent le plus de débouchés, quels que soient le métier de leur rêve, pour pouvoir travailler le plus vite possible et ne plus être à la charge de la société ? Qu’à 17 ans, parfois beaucoup plus tôt, on les retire des familles d’accueil pour les envoyer dans des foyers jeunes travailleurs, ou dans des logements sociaux ? Seuls. Et que les familles d’accueil ont interdiction de garder contact avec eux ?
Savez-vous que les familles d’accueil, en contact permanent avec cette colère, cette violence des enfants, travaillant h24, 7 jours sur 7, n’ont pour ainsi dire aucun suivi psychologique ? Comprenez-vous qu’il est possible que certaines deviennent elles-mêmes violentes, par désœuvrement ?
Et je ne vous parle pas de la condition des mineurs étrangers.
Ca fait beaucoup de questions, beaucoup de colère que je vous envoie en pleine figure alors que ce n’est pas de votre faute. Et en même temps… c’est un problème de société. Et c’est nous la société. C’est de notre responsabilité à tous.
Cette fiction a le mérite d’être là et d’avoir commencé à alerter de nombreux lecteurs. Comme je vous le disais au début, l’histoire est tout à fait réaliste. Mais racontée du point de vue de cet enfant perdu, elle ne permet pas de dévoiler toute l’horreur.
De nombreux enfants ne sont pas conscients que leur vie devrait être toute autre. Souvent, ils le ressentent, et cela se convertit par une colère énorme, parfois génératrice d’une grande violence. Nous, adultes, ayant eu un début de vie plus simple, nous nous devons d’en être conscients.
Alors, vous qui avez reçu un coup de point à l’estomac en lisant cette histoire, je vous en prie, ne l’oubliez pas.
« Je crois que personne n’arrivait à savoir si j’étais à prendre du côté de l’ange blessé qui dérape ou de la bête perdue pour la cause »
Le Démon de la colline aux loups – Dimitri Rouchon-Borie
Editeur : Editions Le Tripode, 2021
Prix : 17€
La 4ème de couverture
Un homme se retrouve en prison. Brutalisé dans sa mémoire et dans sa chair, il décide avant de mourir de nous livrer le récit de son destin.
Écrit dans un élan vertigineux, porté par une langue aussi fulgurante que bienveillante, Le Démon de la Colline aux Loups raconte un être, son enfance perdue, sa vie emplie de violence, de douleur et de rage, d’amour et de passion, de moments de lumière… Il dit sa solitude, immense, la condition humaine.
Le Démon de la Colline aux Loups est un premier roman. C’est surtout un flot ininterrompu d’images et de sensations, un texte étourdissant, une révélation littéraire.
Editions du Tripode